Saison 1 – La Malédiction des cloches
Episode 2 – Entrer dans la Danse…
La mère Kervalle était une femme forte, née au Kordennad de la Fontaine Blanche, à quelques kilomètres du bourg. C’était une vraie bretonne qui priait plus qu’elle ne parlait. Elle savait mener son foyer avec amour et bienveillance et s’occupait fort bien de ses trois filles, dont deux jumelles, et toutes rousses. Elles étaient sa fierté, sa priorité dans la vie et c’était pourquoi le décès de la petite Jeanne lui avait causé tant de tristesse. Ainsi, afin d’oublier son malheur, la mère Kervalle passait toutes ses journées à s’éreinter dans les champs de lin et le soir à le tisser.
Les trois filles se retrouvaient alors souvent seules à la ferme et c’est Marie, l’aînée, qui s’occupait de ses sœurs jumelles, Augustine et Louise. Elle veillait si bien sur elles, qu’elles avaient fini par la surnommer Mammig. Ainsi, depuis le décès de Jeanne, c’est Mammig qui avait la charge de s’occuper du foyer et de ses sœurs âgées d’une dizaine d’années.
Avec cette maturité acquise plus vite qu’elle n’aurait due, Marie, du haut de ses seize ans, fit tourner les têtes à son arrivée aux Noces Collectives de Pont Callec.
Toute la presqu’île et les familles des alentours s’y retrouvaient chaque année, un mardi du mois de février, quand les activités aux champs étaient au ralenti, pour qu’ils puissent tous assister aux mariages communs de leurs proches.
Cette année, dix-sept couples convolaient en noce en même temps, selon la tradition des anciens. Une fête incroyable s’y déroulait pendant deux jours et deux nuits. On creusait des tranchées dans la terre pour créer des tables et bancs rudimentaires et on y festoyait jusqu’au petit jour! Des centaines de personnes y étaient invitées et Marie et sa famille l’étaient aussi, par deux couples de leur kordennad de la Fontaine Blanche.
Vêtue de son costume traditionnel de vert et rose, rehaussée par sa chevelure flamboyante, Marie avait tourné sa bague en forme de cœur, pointe vers l’ongle, pour montrer que son cœur était libre. Ainsi, les jeunes garçons des environs y virent rapidement une promise pour l’année suivante !
Au cours de la soirée, dansant joyeusement avec ses sœurs et ses amies, Marie ne se rendit pas compte que débutaient les premiers pas d’un Dans Ar Seizenn, la danse des rubans qui se pratiquait uniquement lors des mariages. Au centre de la piste, une couronne surélevée faisait pendre des dizaines de rubans de couleurs. Hommes et femmes célibataires se mettaient alors de chaque côté de la couronne et tiraient sur l’un des rubans.
Les binious et bombardes se mettaient à sonner et tout en faisant la ronde, les danseurs découvraient, au fur et à mesure, qui avait tiré la même couleur. Les couples accordaient alors leurs pas ensemble pour une danse ou pour toujours… Marie, enjouée, se prêta au jeu et s’élança dans la danse. Par chance, un jeune homme à l’allure charmante tira la même couleur qu’elle et il sembla, lui aussi, ravi de cette belle destinée. Ils dansèrent ensemble toute la nuit, sans se dire un mot mais avec une connivence qu’aucun convive ne manqua de reconnaître. Ils étaient tels des viltansou, embarqués dans une danse endiablée qui ne semblait jamais s’arrêter…